Je connais une vieille chanson qui dit qu’à toutes
les fois qu’on tombe en amour, l’amour est bleu et le ciel est vert. "À
tou’t lé fois que’j tomb’en amour, on dirait qu’l’amour é bleu et le ciel é
vert…Na… ni na… ni na… "
Ah! je la revois la belle Emmanuelle… je serais bien sorti avec elle vous
savez! Et si je ferme les yeux pour un instant, je l’entends trotter dans ma
tête cet air d’antan… comme si un disque de mon adolescence jouait
soudainement juste à côté de moi. Déjà à cette époque, avant même d’avoir
quinze ans, j’y avais cru qu’en amour l’amour était bleu et le ciel était
vert, que quand on était en amour la vie en suspension commençait… que quand
on était en amour l’amour se suffisait!
Mais ce foutu amour, qui comble-t-il vraiment? Et encore, pour combien de
temps? Foutu temps aussi tant qu’à y être! Alors, que reste-il des amours… de
mes amours? Rien d’autre que l’oubli? Eh oui l’oubli! Celui-là que l’on ne peut
nommer ni même envisager quand on est au milieu de la frénésie et de la
folie… Mais lorsque l’amour "s’enfadie" dans sa course au cercueil
et que l’existence nous rappelle à l’ordre, alors quoi d’autre? Quoi d’autre
que l’oubli… Tiens, me voilà rendu moi aussi à le vénérer! Oh mon dieu c’est
quand que ça commence… c’est comment qu’on fait pour oublier? Mais aide-moi
donc à oublier sainte toupie mon dieu… extirpe mes souvenirs avec une
seringue… pompe les hors de mon cerveau… prend ma vie au besoin si c’est ce
qu’il faut… pourrais-tu faire ça aujourd’hui s’il te plaît!
Puis un moment donné, un jour comme ça au milieu d’une activité anodine, un
jour qui en suit un autre où on a encore pleuré, un jour où il fait beau
peut-être… et puis non pas nécessairement mais peu importe… un jour où
notre petit bonheur du moment est encore terni par cette merdique mélancolie à
la con, cette peine chiante qui finit toujours par tout gâcher, le temps qui
passe et celui qu’il nous reste… Alors un jour comme celui-là, sans y penser,
on se dit: "tantôt je te pleurerai, tantôt tu reviendras… si tu veux,
mais laisse-moi maintenant vivre cet instant qui serait si agréable sans toi…
allez, va un peu plus loin pour aujourd’hui!" C’est comme ça je crois que
l’oubli commence.
Et puis c’est lucidement qu’on se dit, petit à petit, mais ça me donne quoi
d’espérer… puisque toi de toute façon tu te fou de moi. Oui, pourquoi je
perdrais toute ma vie avec toi… pourquoi? Quelqu’un peut-il me le dire? Alors
fait donc ce que tu veux puisque c’est ton désir… Et puis j’avais quoi à t’offrir,
finalement… Et toi, que m’as-tu donc apporté d’autre que des larmes pour que
je t’aime tant? Allez, va donc au diable! Et voilà, c’est sans doute plus
facile pour l’oubli d’opérer quand les derniers mots d’amour, ceux de
l’aversion, finissent par sortir… avant de pouvoir laisser la place aux
pensées résiduelles que seul l’oubli pleinement accompli peut rendre
bienveillantes. Car on ne peut haïr éternellement celle que l’on a aimé… on
ne peut pas, moi je ne peux pas.